« L’instabilité est un ennemi de la sécurité »

Jean-François Sagaut, notaire à Paris

« La sécurité juridique est un besoin primaire. Qu’il s’agisse de construire un couple, de constituer un patrimoine, puis de le transmettre, chacun attend de l’État la garantie de pouvoir mener sa vie juridique en toute sécurité. Notre droit tire sa force de ses racines continentales, la France a fait un choix de société qui trouve sa source dans notre Code civil. L’État préserve notre sécurité juridique à deux niveaux, soit via la justice, soit via les notaires à qui il délègue une mission de service public. Les notaires sont des instituteurs de ce droit et les conservateurs des contrats noués entre les citoyens. Ils sont traçables et faciles à retrouver grâce à ce service public de l’authenticité. Les conflits sont réglés a posteriori par les tribunaux. En amont, les notaires sont là pour veiller au respect du droit. Dans les pays de common law, c’est le juge qui garantit la sécurité juridique. Mais le système anglo-américain a ses limites. Les contrats ont du mal à s’équilibrer, chacun a son propre lawyer, les multinationales ont l’assise financière pour s’offrir les meilleurs, pas les plus petits et encore moins les citoyens, c’est un peu la justice des plus forts. Cela ne correspond pas à la culture juridique française, qui repose sur l’équilibre.

En France et dans les autres pays de droit continental, le recours au juge est vécu comme un échec, son intervention étant curative, soignant un mal après son apparition. La France repose sur un système plus humaniste. Tout ne finit pas au tribunal, notre sécurité juridique est bien mieux assurée que dans d’autres pays où il vaut mieux être du bon côté de la barrière pour faire valoir ses droits. Offrir à tous, sans distinction de classe ni de fortune, un service public du conseil ne grevant pas le budget de l’État, telle est notre philosophie. Ailleurs, le système repose plus sur le contentieux. Toute la réflexion de la justice du xxie siècle vise au contraire à déjudiciariser nos relations, en recourant notamment à un délégataire du service public plutôt que d’aller vers l’autorité judiciaire, ce qui permet de régler plus rapidement les conflits. Le notaire est là pour éclairer, donner un conseil, bien plus avisé que ceux que l’on peut trouver sur Internet. Ce que vous croyez être votre bon droit ne l’est pas forcément ! Notre métier, c’est d’être dans l’humain, de rechercher le consensus, chacun doit faire des efforts pour trouver un accord plutôt que de se lancer dans un contentieux lourd et douloureux, comme on peut le voir autour du testament de Johnny Hallyday. Nous menons aussi un travail de pacification en matière immobilière, nous équilibrons la convention et évitons ainsi les contentieux. Le service public de l’authenticité s’applique à tout type de contrat. Pour certains, c’est un passage obligé. Pour d’autres, c’est optionnel mais permet de mieux garantir des droits.

Accessibilité, stabilité, prévisibilité sont les trois composantes de la sécurité juridique. En matière d’accès au droit, Internet est un atout. Mais dans cette jungle de l’information, où les dangers et les pièges sont omniprésents, il est évident qu’il faut un guide, responsable et compétent. Nous vivons dans un État en surproduction de normes et de jurisprudence, la boussole s’affole et on a du mal à maintenir un cap. Or nous avons besoin de savoir que la règle est là pour suffisamment longtemps et ne sera pas remise en cause prochainement. Notre pays n’est pas meilleur parce que durant une mandature, un gouvernement aura fait plus de lois que son prédécesseur. L’instabilité est un ennemi de la sécurité. Il faut qu’il y ait une prise de conscience à ce niveau.

Qui dit « sécurité juridique » dit également « confiance des investisseurs ». Une question cruciale dans les pays émergents et en voie de développement. Depuis une quinzaine d’années, un nombre croissant d’entre eux demandent au notariat français de leur transmettre son savoir-faire en matière de sécurité juridique, en particulier celle des titres de propriété. »

« Nous sommes des acteurs de paix sociale »

David Ambrosiano, notaire à Fontaine, en Isère

« La sécurité juridique est notre raison d’être, l’essence même de notre profession. Nous appartenons à l’une des deux branches du droit, celle qui est chargée, à l’amiable, d’éviter les conflits, grâce au service public de l’authenticité que nous délivrons. Par rapport au droit anglo-saxon qui tourne autour de la sentence à appliquer en cas de conflit, notre système de prévention est fondé sur l’humanisme. Nous sommes des magistrats de l’amiable, nous évitons le passage par la case tribunal, qui est vécu comme un échec. Le taux de contestation des transactions immobilières est de 0,1 % en France, contre 30 % aux États-Unis. On peut s’en féliciter. Quand le citoyen passe chez un notaire, il prend conscience du poids et de la teneur de cette sécurité juridique. Nos actes ont la même valeur qu’un jugement. Par le conseil que nous devons et que nous délivrons à nos clients, nous sommes les instituteurs du droit. Nous mettons la loi en perspective de leur situation personnelle et de leurs attentes.

Ils sont ainsi à même de prendre la meilleure décision pour eux. Le notariat n’est pas une profession qui défend, mais qui protège. En matière de Pacs (pacte civil de solidarité) par exemple, on peut se contenter d’un rendez-vous à la mairie, mais certains partenaires préfèrent aussi pousser la porte d’une étude pour avoir un conseil avisé et signer un contrat authentifié qui organise la façon dont ils vont vivre leur patrimoine et qui sera conservé soixante-quinze ans chez le notaire. On va alors déterminer un régime “pacsimonial”, une contribution aux charges entre partenaires… Il n’y a aucune obligation, mais une telle démarche peut être utile pour sécuriser l’avenir. Idem en matière de testament, qui est un acte incroyablement technique. Les modèles disponibles sur Internet ne suffisent pas. Il faut plus d’une heure de discussion avec le client pour connaître ses souhaits et craintes afin de le rédiger, c’est de la haute couture. Vous voulez faire un bail de location, établir les statuts de votre société… Il n’y a pas d’obligation à se rendre chez un notaire, mais dans ce cas, l’acte signé entre les parties est juste un acte sous seing privé, ce dernier n’a pas la valeur d’un acte authentique qui lui seul a la force d’un jugement et constitue un titre exécutoire.

Cette sécurité juridique s’exerce sous d’autres formes : la confidentialité, l’empathie que nous devons à nos clients, on est là pour protéger également les incapacités. Nous sommes des acteurs de paix sociale. « Le notaire fait de l’import-export, il importe de l’inquiétude et exporte de la confiance », disait Pierre-Luc Vogel, ancien président du Conseil supérieur du notariat. Cette expression résume parfaitement ce qui fait le sel de notre quotidien. Nous vivons dans un pays qui offre une forte sécurité juridique sans que nous percevions toujours tout ce qu’il y a derrière : une construction législative forte, des professions réglementées dédiées. Dans un monde en pleine transformation numérique, nous devons nous préparer à l’émergence de l’intelligence artificielle (IA). Nos services de recherche et développement travaillent déjà sur ces sujets. Comme tout changement, cela implique des risques et des opportunités : stockage numérique de nos actes durant  soixante-quinze ans de façon entièrement gratuite, signature électronique, utilisation de la visioconférence, signature à distance, construction d’une blockchain afin d’assurer encore plus de sécurité dans nos échanges dématérialisés, avec de nouvelles garanties. L’IA permettra aussi d’automatiser certaines tâches, notamment celles à faible valeur ajoutée. Nos collaborateurs pourront ainsi se concentrer sur des missions plus emphatiques, avec une expertise-clé. À l’ère du numérique, nous avons encore plus besoin de contact humain et l’IA, entre autres, va nous aider à nous concentrer sur un plus grand accompagnement. Le meilleur des deux mondes nous attend! »